Jeudi 14 novembre à Alès
Hannah Arendt
Même s’il est catégorisé comme
tel, on ne peut pas dire que Hannah Arendt est un biopic. En effet, il couvre
une partie bien précise de la vie et de la carrière d’Hannah Arendt. Juive
allemande exilée aux Etats-Unis, miraculée des camps d’internement français,
philosophe politique, elle décide en 1961 de couvrir le procès d’Eichmann pour
le New-Yorker.
Le film montre le combat
permanent d’Arendt. Combat contre ses proches, qui ont peur qu’elle renoue par
ce travail avec cette période sombre de son passé. Combat contre un monde
encore traumatisé par la Shoah, et combat contre ses amis intellectuels de
l’époque.
C’est en tant qu’ancienne
déportée qu’Hannah Arendt part en Israël, où Eichmann a été exfiltré
d’Argentine par le Mossad. Il s’y était caché pour échapper au tribunal de
Nuremberg. Tout au long de son séjour à Jérusalem, elle cherchera la bête
monstrueuse qui habite Eichmann. Lors de son observation du procès, et
parallèlement à ses discussions avec son ami sioniste Kurt, elle va se départir
de son identité juive et de l’empathie subjective que cela induit, pour analyse
la personnalité d’Eichmann de manière logique et froide.
Rentrée aux Etats-Unis, elle
rédige une série d’articles, où elle décrit Eichmann comme un « petit homme »,
« bureaucrate », « appliquant des ordres et incapable de penser ». Elle essaye
d’être la plus factuelle possible, et relate le témoignage de chefs juifs ayant
collaboré avec les Nazis. Des trois-cent pages d’article qu’Arendt a écrites,
seules les dix pages évoquant la personnalité d’Eichmann et le rôle des chefs
juifs sont retenues par le public, et aucune autre de ses analyses. S’ouvre
alors un procès à charge de l’intellectuelle.
Hannah Arendt Le film est
superbement bien mené. Pas d’images choquantes des camps de concentration, pas
de cris, pas de pleurs : une sobriété volontaire qui ne rend la prestation de
Barbara Sukowa que plus percutante.
Les images d’archives du procès
d’Eichmann intégrées dans le film nous rendent quasiment jurés. Les témoignages
des déportés, ainsi que l’aplomb avec lequel Eichmann argumente pour sa
défense, nous confrontent à ce qu’a pu être le travail d’Hannah Arendt. En tant
que spectateurs, nous sommes encore touchés par ces images, et je ne suis pas
sûre que j’aurais été capable de faire ce travail philosophique, de me départir
de l’envie pure et simple de venger les morts, et de chercher une raison au
mal. Car il est plus facile de penser que ce sont des êtres exceptionnellement
mauvais qui ont commis ces actes, plutôt que des êtres humains banals : cela
nous fait moins peur.
Cette prise de distance, à
l’époque impensable, quinze ans à peine après la fin de la Seconde Guerre
Mondiale provoquera un tollé de réactions, clouant la philosophe au piloris.
Aujourd’hui, cet article est
fondateur, étudié en politique, en sociologie, et en philosophie. Ces combats
et ces prises de risque pour ses idées n’auront pas été vains.
A la médiathèque à 14 heures. Gratuit.